LTECV : quelle stratégie pour 2035
Les faiblesses des scénarios présentés cet automne par l’ADEME, RTE et le SER : pourquoi 50% de production nucléaire ??? Quand l’idéologie l’emporte sur le pragmatisme.
Jean-Pierre Pervès
Résumé
De nombreux scénarios révisés viennent d’être présentés, dans la perspective d’une mise à jour des objectifs de loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE). Nous n’examinerons dans cette note que les scénarios (parmi 3 ADEME [1], 5 RTE et 1 SER) [2], qui sont présentés comme compatibles avec les nouvelles orientations du ministre : priorité à la lutte contre le changement climatique et 50% d’électricité nucléaire vers 2030/2035. Nous nous limiterons à l’examen des objectifs 2035, ceux concernant 2050 étant encore plus incertains et dépendant d’évolutions techniques non démontrées.
Il est nécessaire au préalable de constater que les scénarios, qui veulent respecter à la fois la baisse des émissions de GES [3] et la baisse du nucléaire à 50% de la production d’électricité, essaient de concilier deux exigences contradictoires. Il est affligeant que l’ADEME et RTE ne remettent pas en cause cette hypothèse de réduction du nucléaire, non justifiée, et qui ne peut que dégrader la qualité de notre mix électrique. Ces scénarios ne peuvent parvenir à leurs objectifs (théoriquement !) qu’au prix de contorsions non réalistes :
- brider ou réduire la consommation d’électricité, malgré des transferts d’usages aussi essentiels qu’en faveur de la mobilité électrique ou de la substitution au chauffage fuel et gaz ;
- sous-estimer le risque résultant de la simultanéité d’épisodes climatiques semblables dans les pays voisins, avec des risques de fragilisation de l’équilibre des réseaux français et européens ;
- accepter une dépendance à des échanges irréalistes avec nos voisins, sans concertations : il est naïf de compter sur les interconnexions pour réparer nos faiblesses ;
- prendre en compte des évaluations optimistes des rendements associés aux technologies mises en exergue, par exemple pour l’éolien et les méthodes de stockage ;
- minimiser l’impact des surcoûts des réseaux RTE et ENEDIS dus aux fortes puissances installées en énergies renouvelables aléatoires.
Il n’y a pas de miracle : les scénarios présentés font appel à des surcapacités considérables, jusqu’à +50 % de la capacité actuelle, même en bridant fortement la consommation d’électricité.
Celui des trois scénarios présentés par l’ADEME [4], révèle clairement les fragilités des options retenues. Il faut faire appel à une utilisation maximale, excessive, des quatre leviers que sont la réduction de la consommation d’énergie finale (à un niveau inatteignable techniquement et économiquement), un appel accéléré aux énergies renouvelables thermiques d’une part et électrogènes d’autre part, et un recours à des importations d’électricité. Le scénario « Volt » de RTE, donne une vision assez différente du mix électrique, consommatrice d’investissements et très dépendante de nos échanges inter frontaliers, ce qui montre qu’un travail d’unification avec l’ADEME n’a pas été entrepris. Le scénario du Syndicat des énergies renouvelables (SER) se révèle simplement voracement commercial.
La présentation de ces scénarios n’est pas accompagnée d’une évaluation de leurs coûts pour la collectivité. Un calcul simple permet d’estimer le surcoût annuel du seul secteur électrique par rapport à un scénario préservant le rôle du nucléaire. Il s’établit à environ 3 milliards par an pour scénario 50 % de l’ADEME (scénario très couteux dans les autres secteurs, dont l’efficacité énergétique), et à environ 5 à 7 milliards par an pour celui de RTE. La croissance des énergies renouvelables électrogènes pose en effet toujours les mêmes difficultés : ce sont des capacités qui s’ajoutent pour l’essentiel aux capacités actuelles, en raison de l’intermittence et de la très faible probabilité de voir émerger dans les 15 prochaines années un stockage de masse d’électricité pour la compenser. Ce surinvestissement, largement importé et sans impact sur les émissions de CO2, est sans intérêt quand on considère nos engagements vis-à-vis du risque climatique. Et il amplifiera la croissance, déjà évidente, du prix de l’électricité.
L’ADEME et RTE [5], se sont pliés à cet objectif de 50% de nucléaire sans état d’âme alors qu’il pèsera fortement sur les autres secteurs énergétiques qui auront à porter tout le poids de la politique climatique. Il est en contradiction avec l’objectif prioritaire qui devrait être de remplacer les technologies faisant appel aux combustibles fossiles par des énergies non carbonées. Il est également en contradiction avec la volonté affichée par le gouvernement de préserver notre compétitivité et de
« remettre la France sur le chemin de la croissance et de l’emploi en priorisant une renaissance industrielle ».
La France va se trouver dans l’impossibilité de respecter ses engagements de réduction des GES, car :
- Elle a adhéré à la stratégie européenne, portée par l’Allemagne (elle-même incapable de tenir ses engagements), qui impose des objectifs techniques (taux d’ENR, réduction des consommations) contradictoires avec un objectif climatique au meilleur coût ;
- Elle a accepté passivement un pourcentage de réduction de ses émissions de GES de 2005 à 2030 équivalent à celui de ses voisins [6] alors que ses émissions per capita sont déjà nettement inférieures grâce à son électricité déjà décarbonée ;
- Elle ne bénéficiera pas d’une possibilité de réduction à coût supportable de ses émissions en basculant vers le gaz, comme le feront les pays qui utilisent massivement charbon et lignite ;
- Tout reposera donc sur la décarbonation des transports et sur une modération énergétique inatteignable avec un patrimoine ancien : le coût en sera insupportable pour les familles.
Une politique plus réaliste devrait prendre en compte un recours plus dynamique à notre électricité décarbonée (avec son hydroélectricité et un nucléaire puissant), pilotable, sans pollution atmosphérique, au service de tous les secteurs d’activité. Ce n’est pas ce que proposent ces scénarios (ni la LTECV et la PPE) !