Ca commence pourtant mal, un excité bien connu, ancien boxeur en rupture avec toutes les institutions, que j’ai pourtant accompagné pour tenter de résoudre ses problèmes de logement à sa sortie de prison, vient pour profiter de la rencontre et exprimer violemment sa rage. Cinq minutes de violences verbales et insultes. Il reproche tout à la ville, me reproche sa situation, exige encore un logement immédiatement. Tout le monde le connait et me dira « ne vous inquiétez pas », « il ne faut pas répondre »… Je le sais bien car je le croise de temps en temps aux minguettes, en prenant le tram, et c’est toujours la même scène. Je sais qu’il est aussi dans cette situation parce-que les services de santé sont incapables de prendre en charge sa situation, d’organiser un accompagnement psychologique dans la durée, pour lui permettre de surmonter ses crises de violences, et de s’inscrire dans un parcours de réinsertion.
Mais le quartier le connait et « lui pardonne ». C’est aussi une qualité populaire qu’on ne trouve pas souvent dans les quartiers riches.
Après la présentation de la démarche de relogement et de l’agenda, la rencontre est impressionnante de sérieux et d’attention.
Plusieurs personnes sont venus pour accompagner leurs parents âgés, et vérifient que tout sera bien organisé pour le déménagement, les transferts d’abonnements… On découvre d’ailleurs un sujet pour lequel personne ne connait encore la réponse. Si un locataire a pris un contrat d’énergie avec un engagement à prix fixe pendant 2 ou 3 ans, que se passe-t-il s’il déménage avant la fin de son contrat et peut-il se retrouver à accepter un nouveau contrat plus cher ?
Un habitant salarié d’un grand groupe interroge les possibilités de relogement pour des locataires anciens dont le loyer est parmi les plus bas et qui savent qu’ils ne pourront trouver un logement équivalent au même niveau de loyer. Il donne des exemples très concrets et pertinents, connaissant visiblement bien la situation du logement social. Et les échanges confirment qu’il faudra à chaque locataire bien définir ses objectifs ; garder le même loyer, garder la même surface, trouver un logement de meilleure qualité, changer de commune… Et tout le monde sait bien qu’on ne peut pas trouver un logement neuf, hors quartier prioritaire, avec la même surface et le même loyer. Il faudra définir ses priorités, surface, loyer, balcons, quartier…
Une dame qui avait obtenu son logement grâce au 1% se demande ce qui pourra lui être proposée, sachant qu’elle n’est plus salariée pour se consacrer à ses enfants. Elle est inquiète de n’avoir aucune proposition positive avec au moins la qualité actuelle de son logement. Les situations liées aux évolutions familiales, départ d’un jeune pour décohabitation, ou au contraire, maintien d’un jeune adulte avec ses parents interrogent sur la typologie du logement. Une dame souligne qu’elle dort souvent chez ses parents pour s’en occuper mais qu’elle n’est pas déclarée habitante alors qu’elle a bien besoin d’une chambre, donc que ses parents puisse avoir une typologie adaptée.
Les équipes qui vont organiser ces relogements savent l’importance du dialogue avec les locataires pour tenir compte de toutes ces situations particulières, aider à trouver le compromis nécessaire entre le droit de ses habitants à espérer un relogement positif pour eux, et la réalité de l’offre de logement qui rend ce relogement difficile.
Mais ce que je retiens de cette soirée, c’est que ces habitants sont incroyables. Ils ont permis une réunion utile, tranquille malgré les enjeux qu’ils ont bien compris, respectueuse de tous tout en étant déterminé à trouver des solutions positives de ce relogement imposé.
C’est une belle démonstration de force en réponse à tous les discours qui ne les respectent pas. Je suis heureux de connaitre plusieurs d’entre eux, d’habiter dans ce grand quartier populaire, et certain que la réponse à la crise démocratique de la France est ici, dans la capacité des milieux populaires à s’organiser comme acteur politique de l’avenir de la France.