27-30 septembre : Grand Rendez-vous de la ville de Vénissieux

Démocratie participative ? L’éducation populaire pour diriger l’état ! Enregistrer au format PDF

Dimanche 1er octobre 2023 — Dernier ajout mardi 3 octobre 2023

La table ronde de ce 29 septembre au grand rendez-vous de la ville a été riche et passionnée. Ce sera le mot de conclusion de l’animateur du débat, il y a de la passion dans la démocratie participative à la vénissiane !

Car la table ronde associait Valérie Talbi, une des quatre adjointes aux conseils de quartier qui présenta l’expérience des conseils de quartier de Vénissieux, et deux sociologues spécialistes de la démocratie participative qui ont exposé successivement une critique de cette démocratie participative qui était supposée répondre à la crise de la démocratie représentative et qui semble en échec, bien trop encadrée par des outils de participation « institutionnels ».

Leurs interventions m’ont semblé bien loin de l’expérience concrète des conseils de quartier, mais en même temps, elles nous poussent à poser les questions que nous nous posons sur les conseils de quartier d’une manière plus ouverte, plus globale, à partir du débat public national.

Laurence Boffet, vice-présidente de la métropole a fait le lien entre cette crise démocratique dans une crise globale de la société, marquée par l’affaiblissement de tous les « corps intermédiaires » comme les syndicats, les associations et les partis politiques, et les démarches participatives portées par les collectivités locales. Elle insistera sur l’importance de dire clairement ce que ces démarches participatives font, de l’information, de la consultation, de la concertation, de la co-élaboration…

Cela m’a conduit à tenter de mettre mes idées au clair sur ce sujet, en revenant aux débats que nous avions il y a un peu plus de 30 ans quand le maire et les élus communistes ont créés ces conseils de quartier que tous les autres rejetaient à l’époque…

La démocratie participative n’est pas née à Vénissieux comme ailleurs. Elle a commencé bien avant la loi de 2002 qui oblige à créer des conseils de quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants. Elle a commencé en 1989, presqu’en même temps que celle de Porto Alegre en 1988 au Brésil, un des premiers « modèles » de la démocratie participative souvent cité en exemple. Pourtant cette agglomération brésilienne dirigée par le parti des travailleurs pendant dix ans qui a inventé les budgets participatifs s’est terminée avec la victoire d’une droite qui deviendra extrême… L’expérience Vénissiane est évidemment beaucoup moins connue, étudiée, et pourtant je pense qu’elle est à la fois bien plus pragmatique et bien plus ambitieuse que beaucoup d’autres…

Depuis, il y a eu beaucoup d’écrits sur la participation citoyenne dans la grande vague du mouvement contre la mondialisation répondant aux critiques sur la crise de la démocratie, et des lois, dont celle de 2002 créant officiellement les conseils de quartier, et celle de la rénovation urbaine créant les conseils citoyens, et d’autres encore, avec des expériences notamment dans les grandes agglomérations, reposant souvent sur des plateformes numériques, et de plus en plus d’experts et de prestataires organisant des formes diverses de participation citoyenne. Le débat porte souvent sur la nature de cette « participation citoyenne », un pansement sur une démocratie « malade », donc une aide au pouvoir, ou au contraire un outil pour remettre en cause une démocratie « formelle », un contre-pouvoir ?

Pendant ce temps, l’expérience se développait à Vénissieux sur une base politique originale et différente, on peut en trouver de nombreux exemples sur ce blog, et sans doute que nous n’avons pas suffisamment réfléchi sur notre démarche. Nous n’avons jamais travaillé avec des chercheurs en sociologie ou en politique pour caractériser cette expérience vénissiane, et comme souvent en sciences politiques, peu de chercheurs ou même de journalistes se sont intéressés à Vénissieux, ville belle et rebelle, qui reste souvent un peu « sulfureuse » dans l’espace médiatique et politique [1].

L’originalité de la démarche de vénissieux est justement de ne chercher à être ni un contre-pouvoir, ni un outil du pouvoir. L’ambition, démesurée peut-être, de nos conseils de quartier est une ambition d’éducation populaire pour que les citoyens eux-mêmes posent la question du pouvoir, de qui décide, pourquoi, pour qui. C’est une ambition très communiste qui remonte à un texte de Lénine sur l’état connu pour cette formule « Chaque cuisinière doit apprendre à gouverner l’Etat ». Mais nous savons bien qu’il ne suffit pas de le dire pour le faire. Lénine écrit d’ailleurs Nous ne sommes pas des utopistes. Nous savons que le premier manœuvre ou la première cuisinière venus ne sont pas sur-le-champ capables de participer à la gestion de l’Etat. (…) Nous exigeons que l’apprentissage en matière de gestion de l’Etat soit fait par les ouvriers conscients et les soldats, et que l’on commence sans tarder, c’est-à-dire qu’on commence sans tarder à faire participer à cet apprentissage tous les travailleurs, tous les citoyens pauvres.

Nous prenons cette immense ambition de manière très pragmatique, et sans en prédéfinir les formes ou les sujets, à partir de ce que les citoyens posent comme question, montrent comme capacité collective à se saisir de questions de qui décide, pourquoi, pour qui…

La conséquence de ce choix fondamental est double

  • c’est un élu de la majorité qui préside le conseil de quartier, pour que ce conseil se confronte à la question fondamentale de qui décide, pourquoi, pour qui, c’est à dire la question du pouvoir elle-même, et pas un simple contre-pouvoir ni une aide au pouvoir. C’est aussi pour l’élu président un apprentissage de la construction d’une majorité populaire en veillant à unir les participants et dépasser les intérêts individuels ou privés.
  • nous organisons des élections de délégués de quartier qui ne peuvent être simplement des volontaires, désignés, déclarés ou tirés au sort, cela ne change rien. Il faut tout faire pour que les délégués se construisent comme délégué des citoyens, dans une démarche collective et pas seulement individuelle. C’est évidemment une ambition là aussi immense et nous mesurons bien que c’est une démarche à contre courant de la société.

Le résultat est ce que les participants aux conseils de quartier en ont fait, un résultat très divers, selon les années, les quartiers et au fonds, selon les élus, militants, habitants qui s’engagent.

  • Parfois, l’expérience en reste au stade de l’interpellation des élus, et du constat que les élus n’ont pas de baguette magique, surtout sur les questions qui mêlent des responsabilités diverses, celles des différentes institutions, celles des acteurs de la ville, et aussi celles des habitants.
  • Parfois, il y a un début d’auto-organisation et de travail collectif pour produire une contribution, intervenir dans des débats publics, dans des instances de participation officielles… Et aussi des actions qui débordent du quartier, comme cette pétition pour l’ascenseur et le guichet de la gare de Vénissieux.

Mais il y a partout une réussite, un lieu de débat public direct, sans filtre entre habitants et élus, avec de nombreuses rencontres sur le terrain ou dans des permanences, et ces assemblées générales de quartier souvent très animées, qui rassemblent un petit millier de Vénissians. Ce taux de participation peut paraitre faible mais est pourtant largement supérieur à la plupart des expériences de participation citoyenne mobilisant de gros moyens à l’échelle métropolitaine, que ce soit pour les mobilités ou pour le plan d’urbanisme…

Et il y a une tendance claire ces dernières années, une plus grande place donnée aux demandes des conseils de quartier par les services de la ville, les adjoints qui en général répondent aux sollicitations des présidents de conseils de quartier et interviennent pour débloquer des questions restées sans réponses…

Cela dit, les militants engagés dans cette démarche, les élus et le maire en premier lieu ont bien conscience des limites de cette expérience, et pas seulement quantitatives. De fait, pour l’instant, 90% du temps de démocratie participative est consacré aux questions du quotidien et de la proximité des habitants, propreté, stationnement et bien sûr insécurité et trafics de stupéfiants qui submergent le débat public tellement la situation est invivable pour de nombreux habitants.

Mais l’éducation populaire à la démocratie, au pouvoir, ne peut pas se construire à partir des préoccupations des experts, ou même des élus ou des militants politiques. Le principe même de cette ambition d’une citoyenneté réelle est de partir des questions posées par les habitants, sans en limiter le cadre ou les sujets. Il est parfois frustrant pour les élus et les militants de consacrer tant d’efforts à ces questions de proximité alors qu’on voudrait pouvoir organiser une intervention citoyenne sur beaucoup plus de sujets, notamment sociaux comme la santé, le mal-logement ou sur des objectifs politiques de la ville comme un projet d’habitat participatif… Mais encore une fois, ce sont les habitants participants qui décident !

N’oublions pas que la ville a d’autres outils et d’autres démarches de participation. Celles construites avec la métropole dans tous les grands projets urbains, dont la rénovation urbaine. La future ZAC des balmes entre plateau et centre ville est déjà et sera de plus en plus un grand projet de participation citoyenne. Mais on est là dans un cadre déjà institutionnel, où les habitants sont invités à participer à quelque chose qu’ils n’ont pas décidé, dans un cadre largement défini pour les délibérations de l’état, la métropole et la ville et donc largement contraint. Le nombre de logements, la place des logements sociaux, l’équilibre nature-constructions, le stationnement ont été décidés. Il reste cependant de vrais « objets de concertation » qui peuvent être plus qu’une simple information, et par exemple pour la conception du parc linéaire peuvent associer des habitants à la conception même du site.

Et la ville a aussi expérimenté ses propres démarches d’expression citoyenne. En 2019 avec près de 900 avis pour orienter la réflexion municipale sur les priorités des vénissians, en 2021 pour la relance des conseils de quartier avec 1203 réponses, en 2023 pour organiser une expression large de près de 4000 Vénissians sur le projet de ZFE.

On a accumulé ainsi une expérience riche qui peut nous aider à reprendre avec détermination notre ambition d’une démocratie participative originale. Le débat de ce grand rendez-vous peut nous pousser à donner une plus grande visibilité à cette expérience, dans la ville, mais aussi dans la métropole et dans le débat public national…

[1Sans doute que le temps et les réussites vénissianes ont commencé à modifier profondément cette image

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