Ce 8 décembre, le conseil d’administration de l’INSA revote sur les futurs statuts de la communauté universitaire Lyon St-Etienne en création avec sa candidature « IDEX », ces initiatives d’excellence qu’un jury international décide de reconnaître ou non… et qui sont le cœur de la restructuration de l’enseignement et de la recherche. Ces futurs statuts impliquent la disparition de tous les établissements existants, dont l’INSA, qui seraient intégrés dans une université nouvelle intégrée. Dans ce cadre, l’INSA ne déciderait ni de son budget, ni de ses diplômes, ni de ses recrutements… Lors d’un premier vote, le CA s’était fracturé entre d’un coté les personnalités extérieures qui soutiennent unanimement le projet, dont le maire de Villeurbanne et le représentant de la métropole de Lyon, et de l’autre la totalité des représentants des étudiants, des personnels administratifs, techniques, d’enseignement et de recherche. Il existe de nombreuses analyses critiques de la démarche des IDEX, mais le pire est que le projet de Lyon-St-Etienne est secret, au nom de la concurrence avec les autres projets. Les membres du CA doivent voter pour un projet qu’ils ne connaissent pas ! Au-delà de la réunion de ce 8 décembre, il est urgent de faire entendre ce que nous voulons pour l’enseignement supérieur et la recherche, et particulièrement pour l’INSA de Lyon. Quelques éclairages pour y contribuer.
Qui décide des IDEX ?
Un jury présidé par Jean-Marc Rapp, avocat ancien président du lobby bruxellois de l’association des Universités Européennes, avec Rolf Tarrach qui avait lui aussi présidé l’université de Lausanne (qui est entre le 200e et le 300e rang du classement de Shanghai), puis l’université du Luxembourg (qui ne figure ni au classement de Shanghai, ni à celui du THE ou de QS). Et comme le but des IDEX est le pilotage de la recherche par les entreprises, il y a dans le jury des représentants d’entreprises malgré leurs conflits d’intérêts dans des partenariats avec des sites candidats. M. Bamberger d’EDF, par exemple, associé au projet IDEX de Grenoble, Mme Crawford-Heitzmann de L’Oréal à l’origine de la Joint Venture Galderma à Sophia Antipolis. Devant les critique, le jury a fait un communiqué en décembre dernier pour expliquer que les membres concernés se « déporteraient »…
Qui peut prévoir les décisions des IDEX, le choc du printemps
Au printemps, le Premier ministre décide de confirmer définitivement trois Idex, de renouveler la période probatoire de trois autres et de stopper tout simplement deux projets - Toulouse et Sorbonne Paris Cité -, le jury ayant estimé que l’objectif Idex est impossible à atteindre sans une dynamique toute nouvelle et des mesures de rupture. « on ne pouvait observer une adhésion des acteurs à une démarche de transformation conduisant à une université de recherche intégrée »… les deux sites perdent donc leur dotation, merci pour les doctorants engagés sur crédits IDEX… Il faut noter que le projet d’université fédérale de Toulouse avait fait l’objet d’un très long processus démocratique et d’un vote très largement majoritaire… !
Cette démarche des IDEX est vraiment un piège, pour les gagnants dont les premiers constatent qu’ils doivent dépenser des millions pour mettre en place d’énormes organisations technocratiques et qui assèchent les activités qui ne font pas partie de l’excellence, et les « perdants » qui doivent chercher des coupables et expliquer à certains qu’en fait, ils ne sont pas excellents…
Les dotations IDEX, un argument décisif ?
Le budget national de l’ESR est de 23G€ en 2016… plus 1,5G€ du PIA et plan campus… les dotations aux COMUEs représentent de l’ordre de 400M€… soit 1,6 % du budget !
Cet argument chantage utilisé par Gérard Collomb en séance du conseil de métropole (ceux qui mettraient en péril l’IDEX prendrait la responsabilité de perdre 25M€ [1]) est donc un leurre !
Retour d’expérience : Université de Bourgogne
Malgré la petite rallonge gouvernementale de l’été, les contraintes budgétaires d’un établissement « autonome » conduit à la suppression d’un TD sur 4, et même la suppression complète d’enseignement ! Et pour donner une idée de l’ambiance, le CA de l’université se tient sous protection de CRS !! Que fera le projet de COMUE Franche-comté bourgogne ? Il va accélérer ces suppressions d’enseignements et réductions d’heures en éloignant les décisions pour éviter que trop d’élus étudiants ou enseignants puissent intervenir…
Apparaître au plan international ?
Les promoteurs de la COMUE disent qu’il faut une taille internationale pour être reconnu… Mais le regroupement sera-t-il toujours profitable dans les classements internationaux ? La plupart du temps bien sûr. Daniel Egret, astronome à l’Observatoire de Paris fait le calcul depuis 3 ans ; on passerait de 6 à 9 universités dans les 150 premiers de Shanghai, mais la Comue Sorbonne universités, apparaîtrait à la 40e place alors que l’université Pierre-et-Marie-Curie qui en est membre, est déjà classée, à elle seule, à la 39e place du classement de Shanghaï, et numéro un française.. De fait, il y a dans ces calculs des ratios, et la COMUE agrège évidemment les résultats, mais aussi les bases… Qui a fait le calcul pour l’énorme université de Lyon St-Etienne ?
Or, depuis des années, l’INSA développe sans difficulté des relations internationales avec toutes les grandes universités du monde. Les échanges étudiants par exemple en IF sont systématiques depuis longtemps et nous plaçons nos étudiants dans les meilleures universités du monde sans difficulté, en Corée, aux USA, en Chine, en Australie, et bien sûr en Suède, Allemagne, Angleterre. Quel est l’intérêt pour l’INSA de confier ses relations internationales à l’université de Lyon-St-Etienne ?
La stratégie de l’excellence… Lisbonne
Les réformes universitaires en France répondent à la « stratégie européenne de Lisbonne » de mars 2000 qui promettait de « faire de l’UE en 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde… ». On connaît tous le résultat désastreux qui fait sourire les chinois. Par contre, les restructurations se sont accélérées, avec les IDEX en France, mais pas les budgets, contrairement aux objectifs de 3 % du PIB ! , les dépenses restent inchangée de 1,85 % à 1,9 %, et du point de vue des budgets publics de recherche, c’est une stagnation autour de 1%. Il faut lire le rapport 2014 du comité d’éthique du CNRS et ses préconisations… je vous lis la première, il y en a 9… « L’usage abusif et dans n’importe quelle circonstance du terme d’excellence en a banalisé la signification. Pour le fonctionnement de la recherche il est raisonnable d’en limiter l’utilisation et d’y substituer les notions de qualité, de haut niveau ou de compétitivité. »
Et pourtant on continue… Mais qui évalue ceux qui établissent ces politiques publiques ? Qui évalue les évaluateurs ? On dit qu’un critère essentiel de l’excellence est le niveau de publication dans les revues de renom, mais qui parle de l’augmentation continue des retraits de publication suite à des erreurs, voire pire ? En 2011, la prestigieuse revue Nature rapportait que le nombre de retrait d’articles avait été multiplié par 10 depuis 1975 ! une étude US globale montre que ces retraits sont liés, en très grande majorité, à des fraudes, des plagiats, des malversations voire à des résultats totalement inventés ou truqués ! un informaticien français de Grenoble, a publié de fausses études sous le nom de ’Ike Antkare’ (’I can’t care’, ’peu m’importe’), jusqu’à devenir le 21e scientifique le plus cité au monde selon Google Scholar en 2010. Le titre de sa pseudo-thèse ? « Construire l’e-business en utilisant des modalités psycho-acoustiques ». La course à la publication produit le pire, ce que la concurrence commerciale produit dans le privé comme dans l’affaire du diesel de VW… Et c’est cela qui devient le critère pour décider de l’excellence !
Quid de l’excellence ?
L’évaluation traditionnelle par les pairs, ceux qui peuvent directement évaluer le travail ne nécessitait pas de lourdes organisations d’évaluation. Le « discours de l’excellence » est un leurre qui masque la mise en concurrence… au détriment de l’effort réel de recherche et d’enseignement. Beaucoup d’enseignants-chercheurs en ont marre de faire de l’administratif à la recherche de financements au lieu de faire de la recherche…
On va bientôt avoir à l’université une fonction commerciale aussi développée que dans le privé. Si pour vendre un bien ou un service, on considère normal de dépenser en marketing et commercial, à l’université il y a 20 ans, le seul travail utile était celui qui produisait de la recherche ou de l’enseignement. Il faut désormais des armées de consultants, experts, chargés de communication pour répondre aux appels d’offres, restructurer, obtenir des financements… et survivre dans la concurrence entre laboratoires… Car il ne suffit jamais de faire, il faut faire savoir. L’excellence est alors tout autant dans la communication que dans la recherche… Et on sait bien dans le privé que d’excellentes innovations disparaissent, quand des produits de mauvaise qualité se répandent, parce que la réussite peut être d’abord commerciale. Cela n’a aucun sens en recherche….
L’excellence ? un contre-exemple prix Nobel
Le journaliste scientifique Sylvestre Huet montre le décalage entre les réussites scientifiques de la France et le discours de l’excellence. Le prix nobel de chimie Jean-Pierre Sauvage fit toute sa carrière au même endroit (Strasbourg) sur le même sujet, dans le même organisme de recherche, le CNRS. Ingénieur typique des grandes écoles à la française, il rentre au CNRS directement suite à sa thèse… (impossible aujourd’hui !), et y fait toute sa carrière, ce qu’un ancien président de la république dénonçait comme un fonctionnaire qui venait au labo parce que c’était chauffé… « C’est au contraire le statut qui permet aux scientifiques recrutés sur concours, largement ouvert à l’international aujourd’hui, de se consacrer entièrement à leur sujet de recherche. Tout en tissant des liens avec leurs pairs-concurrents-collaborateurs dans le monde et avec les universitaires, doctorants et autres personnels des laboratoires. »
En résumé
Ce qu’on nous propose est de casser un modèle qui fonctionne bien, qui est un succès pour les étudiants, pour les entreprises qui les recrutent, pour la recherche, tout cela pour confier les décisions à un conseil lointain pilotant un mastodonte dont personne ne sait comment il va être géré, qui sera inconnu des entités, et qui aura pouvoir de vie ou de mort sur les enseignements et pour décider qui est excellent et mérite des subsides et qui ne l’est pas …
Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne et membre du CA de l’INSA, devrait se rappeler qu’il a défendu l’existence des communes dans la création de la métropole, contre ceux qui proposaient une métropole intégrant totalement les communes qui seraient devenues de simples arrondissements. Mais la fusion imposée aux COMUE c’est bien l’équivalent d’une métropole sans les communes, une université fusionnée faisant disparaître les établissements existants…
Et le pire, c’est que ce modèle des IDEX issu de la mondialisation nous est imposé alors que cette mondialisation est en pleine remise en cause au plan politique avec le Brexit, Trump… La loi de 2013 prévoyait le cadre d’une « université fédérale » conservant les établissements existants, comme la métropole de Lyon par exemple, conserve les communes, ce qui n’était peut-être pas l’objectif initial de Gérard Collomb, mais est le cadre actuel. Pourquoi ne pas s’inspirer de cette organisation à deux niveaux ?
Franchement, s’il y a une décision sage en ce moment pour l’INSA, c’est d’attendre !