On ne fera pas de ville intelligente avec un stationnement stupide Enregistrer au format PDF

Jeudi 12 mai 2022 — Dernier ajout mercredi 6 septembre 2023

Je conseille la lecture de cette newsletter périodique qui parle d’innovation et souvent de numérique, mais pour parler de nos pratiques de vie, pas des délires à la Musk ou la Bezos sur la technologie qui dépasse l’humain…

Cette lettre sur le stationnement m’interpelle sur une politique publique où nous sommes en difficulté. La ville de Vénissieux se densifie, c’est normal, beaucoup d’habitants de l’aire urbaine de Lyon viennent chercher un transport en commun à Vénissieux et donc du stationnement… Et notre choix de maintenir le stationnement gratuit nous interdit toute gestion publique volontaire de cet espace public énorme que constitue le stationnement sur voirie ou sur parking ouvert…

Je partage cette idée de se donner les outils pour gérer les places et les véhicules. On pourrait certainement à Vénissieux ne pas reproduire les solutions privées et payantes qui existent ailleurs, notamment à Lyon, et inventer une gestion publique qui garantisse le droit au stationnement pour tous, tout en luttant contre les abus, et en permettant de réguler le stationnement liée aux stations de transport en commun…

Un vaste débat qui devrait être un exemple d’un débat politique utile, concret… bien loin des politicailleries et des luttes de places qui font malheureusement notre quotidien médiatique… pam


Comment utiliser le levier du stationnement pour réduire l’impact de l’automobile ? En changeant à peu près tout dans la manière de garer les voitures. Inspiration. #188

|La newsletter de 15marches

👨‍🚀 Tous les mardis, Stéphane décrypte l’impact de la transformation numérique sur l’économie et la société. En savoir plus sur cette lettre : À propos

💌 Vous et moi

Les habitués de cette lettre connaissent mon goût pour les sujets un peu “sous les radars”, surtout si ils s’apparentent à un 🐘 au milieu de la pièce. Le stationnement en fait partie. Quoi ? Mais que vient faire le stationnement dans une newsletter sur l’innovation ?

Regardez autour de vous : la surface dédiée au stationnement de nos chères autos représente près de la moitié de l’espace situé entre les côtés pair et impair de votre rue. La cause est simple : une voiture a besoin de 25m2 pour se garer (accès compris) et l’on compte pas moins de 44 millions de véhicules légers qui squattent le plancher des vaches. Je vous laisse faire le calcul de la surface nécessaire…

Or, si le sujet de la circulation automobile passionne les foules, les élus et les ingénieurs, celui du stationnement bénéficie étonnamment de beaucoup moins d’attentions (d’ailleurs, je vous entends déjà bailler). En gros, à part dire qu’il n’y en a trop ou qu’il n’y en a pas assez, il y a très peu de recherches et encore moins d’innovations dans le stationnement. Étudié à la loupe, ce que nous avons fait l’année dernière pour l’un de nos clients, le faible niveau de transformation numérique dans ce secteur est même frappant.

Nous vous proposons en ce milieu de printemps fleuri d’aller faire un tour du côté de la discipline mal-aimée de la ville pour essayer de comprendre ce qui ne va pas et esquisser des solutions. 

Vous trouverez à la suite des liens utiles pour aller plus loin et bien sûr votre rubrique préférée sur les liens étonnants que nous avons dénichés sur le web.

Photo des ombrelles de Disneyland Paris : Jay Black sur Unsplash

🎯 Cette semaine

Commençons par une petite histoire de 🅿️…

Vous avez rendez-vous avec un ami en ville, vous êtes déjà en retard et pour changer, il pleut. Où est votre voiture déjà ? Quand vous l’aviez garée il y a 3 jours, vous aviez du pas mal tourner. Depuis qu’ils ont construit ces immeubles c’est l’enfer pour trouver une place dans votre rue.

La voici…vous consultez votre GPS : 13 minutes ça devrait le faire, si vous trouvez une place comme la dernière fois. Arrivé sur zone : raté. Vous persévérez, refermant un à un les bons plans que vous pensiez être le seul à connaître. Pas question pour autant de descendre dans le parking en silo où vous avez rayé votre jante alu il y a 4 ans. 

Une place se libère enfin, en secteur payant. C’est tentant de ne pas payer mais bon, 34€ même pour 5 minutes de retard…ils n’ont que ça à faire les policiers. Où est la borne ? La voici. Évidemment ils l’ont mise en plein soleil. Vous finissez par retrouver votre numéro de plaque et vous payez pour 2 heures maxi. Faudra pas que votre copain soit trop bavard. 

La prochaine fois vous vous retrouverez dans la galerie commerciale du Leclerc. Au moins on peut se garer et le Happy Hour est moins cher qu’en ville. Vous en profiterez même pour faire une petite course.

Hormis le montant de l’amende, la scène que je viens de décrire aurait pu se dérouler il y a 20 ans. À l’instar du transport public, l’automobile profite encore très peu des possibilités offertes par les nouvelles technologies. L’appli de guidage de votre smartphone par exemple vous donnera un temps de parcours qui n’intègre ni le temps “à tourner” pour trouver une place, ni celui nécessaire pour rejoindre à pied votre destination. Ne comptez pas non plus sur elle pour vous aider à trouver une place ni vous dire les secteurs à éviter.

Une fois garé, vous n’êtes pas sorti d’affaire. C’est à vous de trouver une borne en service, rentrer votre numéro de plaque, payer, et espérer ne pas dépasser l’horaire. Pas terrible comme expérience. Télécharger l’appli de stationnement ne vous aidera pas beaucoup : elles proposent de banals formulaires permettant d’enregistrer sa plaque et sa carte bancaire. Mais le principe reste le même : vous payez pour une période donnée, et gare au dépassement.

On ne s’étonnera pas dès lors que la fraude au stationnement soit l’une des fraudes socialement les mieux acceptées. Après tout, la ville n’a qu’à mettre plus de place hein.

Essayons d’aller un peu au-delà de ces considérations de café du commerce.

Le stationnement gratuit c’est de l’immobilier caché

La majorité des automobilistes que vous croiserez à un instant t ont été biberonnés à la gratuité. Payer pour se garer, c’est déjà une forme d’échec. Ne pas payer est un jeu. C’est un axiome de base : malgré son encombrement et son inutilité (il ne sert qu’une heure par jour maximum), votre véhicule a DROIT à une place, où qu’il aille. “Le fait que la voiture ait été inventée avant l’ordinateur est un bug” disait le patron de Google Éric Schmidt. Difficile de le contredire tant une telle inefficacité fait tâche dans nos villes denses et nos espaces fragiles.

Pas convaincue ? Faites l’exercice papier-stylo : placez 10 logements de 60 m2 sur une parcelle de 1000 m2, à budget constant. Mettez 2 places par logement (2 x 25m2), puis essayez avec 1 place par logement, puis 0. Comparez : quelle hauteur, quels espaces verts et quels équipements vous pourrez y caser. Le stationnement c’est bien cela : une allocation d’espace au détriment d’autres usages. Le stationnement fait monter le prix du logement, mécaniquement ou entraîne une fuite vers l’extérieur, donc l’étalement urbain. Dans quel objectif ?

Imaginez que l’on octroie gratuitement 50m2 de terrain équipé à n’importe quel couple, sans se demander s’il en a besoin, s’il a déjà une propriété ou s’il aurait les moyens de se le payer. Multipliez ce don par 2, 3 ou 4 car c’est bien le nombre de places que ce couple sera en droit d’attendre de la ville pour utiliser son véhicule : une place au centre-ville, une autre au supermarché, devant l’école, devant la salle de sport… On évalue entre 3 et 7 le nombre de places de stationnement par véhicule. Plus de 20 dans certaines villes américaines.

Vu comme cela, est-il choquant d’affirmer que le stationnement gratuit sur voirie est non seulement antisocial, mais que c’est aussi un gâchis de terrains et au final une subvention publique à la mobilité carbonée ? Refaites le calcul.

Le stationnement payant n’est pas plus intelligent

Qu’est-ce que le stationnement payant actuel ? Une tarification par zones fixes, entrecoupées parfois de périodes gratuites âprement négociées avec les commerçants. Or ce tarif ne dépend pas :

  • de l’occupation théorique prévue
  • de l’occupation en temps réel
  • de la motorisation des véhicules
  • du statut social, de lieu d’habitation,…
  • de l’utilité sociale
  • de l’usage vertueux : auto-partage ou covoiturage,…

Les experts qui nous lisent auront sans doute au bout de la langue quelques exceptions à ces affirmations. Mais avouons-le : l’ingénierie tarifaire est aujourd’hui au niveau CM1. Difficile dans ce cas d’imaginer se servir de la politique tarifaire pour faciliter d’autres politiques : environnementales, sociales, ou simplement d’efficacité.

Comment remettre de l’intelligence : par la technologie ?

Nous l’avons évoqué : aujourd’hui les applis servent simplement à “déporter” la borne de paiement. On ne tire quasiment pas de bénéfice de l’usage du smartphone, à part la géolocalisation. Car le blocage est ailleurs.

Il y a deux problèmes principaux :

  • le véhicule n’est pas identifié au sens numérique du terme
  • l’endroit où il se gare n’est pas identifié non plus, pas plus que les règles qui s’y appliquent. Alors que votre activité sur le web est traquée par des dizaines de bots en temps réel, que votre smartphone “borne” silencieusement en permanence auprès des cellules, wifi et autres appareils Bluetooth, votre véhicule ne communique au mieux qu’à travers sa plaque d’immatriculation. Tant mieux me direz-vous. Mais voilà, votre véhicule n’est pas invisible pour les autres usagers de la voirie, et le repérer aiderait bien par exemple à lui faire payer son usage réel de l’espace public, avec toutes les possibilités de levier évoquées plus haut. Ça se discute non ?

Deuxième problème :

En réalité les collectivités connaissent très mal leur espace public. Il n’est pas “indexé” au sens numérique du terme, ou en tout cas pas dans des conditions et standards permettant d’utiliser ces informations pour les rapprocher de données concernant les usages par exemple. Il y a bien des Systèmes d’Information Géographiques, mais ils ne sont ni conçus ni utilisés pour cela. Et ne parlons pas des “MaaS” qui évitent soigneusement d’intégrer notre éléphant au milieu de la pièce.

(D’après Nir Erez)

Des 4 couches décrites ci-dessus, seule la première est numérisée, et encore elle passe par l’interface siège-volant, c’est à dire : l’automobiliste. Les autres ne le sont pas.

C’est pourquoi l’Agence de Mobilité de Montréal, pour laquelle nous avons réalisé cette étude, a décidé d’entreprendre la numérisation de son espace public. Indexer le “curb”, cet espace situé entre l’immeuble et la chaussée, qui intègre le trottoir et la file de stationnement. C’est ici que les enjeux d’usage sont les plus tendus.

Le chantier est complexe, cela prendra du temps. Mais c’est aussi le seul moyen de débloquer la suite et, comme vous l’imaginez, un acteurs privé dont le nom commence par G et finit par E est déjà sur le coup.

Comment remettre de l’intelligence : par la politique et la culture

À ce stade si vous êtes encore là, c’est que vous n’êtes pas convaincue que la seule approche technologique suffira. Vous avez raison.

Le problème du stationnement est d’abord un problème culturel. Traité en Europe comme un sous-genre des politiques de mobilité, il est absent des schémas qui traitent par exemple des transports collectifs et des modes doux. “Un bon stationnement est un stationnement mort” semble être la seule alternative quand on voit les politiques urbaines les plus récentes dans les capitales européennes. Toute innovation visant à faciliter le stationnement sera vue comme un “aspirateur à voiture”, ce qui interdit, pardon de se répéter, de facto toute innovation. Or quand 65% des déplacements sont réalisés en voiture, supprimer des places ne suffit pas.

Le schéma ci-dessus montre que le stationnement est en réalité au croisement de plusieurs politiques locales, et peut ainsi devenir un levier d’actions redoutable pour faire changer les comportements de déplacement. Si l’on s’en donne les moyens.

Il reste encore beaucoup à inventer, mais espérons que cette approche donnera aux acteurs de la ville l’envie de se pencher sur le sujet avec un regard neuf.

Voir en ligne : lecture de la newsletter de 15 marches…

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