En réponse à votre mail du 20 avril dernier, je tiens à apporter ma contribution autant sur le fonds du projet alimentaire métropolitain, que sur la forme politique de votre démarche.
C’est par cette forme que je commence car je suis convaincu qu’on ne peut porter un véritable changement en s’inscrivant dans les formes politiques qui ont été construites pour ce monde que nous voulons justement changer.
Une critique de votre démarche
Premièrement, non, Lyon is not only Lyon… ! vous vous adressez aux élus métropolitains, apparemment sans avoir conscience de cette différence entre Lyon, une commune de 500 000 habitants, et la métropole, 59 communes de 1 400 000 habitants. Je n’ose imaginer que vous faites partie de ceux qui, comme Gérard Collomb, considèrent les communes comme un héritage du passé et que demain, comme il l’a dit publiquement, “on appellera la métropole tout simplement Lyon”. Il est important de faire la différence entre Lyon et le Grand Lyon, voire même l’agglomération lyonnaise, qui reste le terme le plus juste. Cette remarque s’applique à la dénomination “Projet Alimentaire Territorial de Lyon” qui est fausse, puisque le conseil de métropole a délibéré d’une stratégie métropolitaine pour un Projet Alimentaire du territoire lyonnais.
Deuxièmement, j’ai bien noté les signataires que vous mettez en avant. Comme vous le notez vous-mêmes, nous sommes dans une période particulière avec le report du deuxième tour des élections locales. Vous soulignez ainsi le caractère électoral de votre démarche. Il me semble alors nécessaire d’éclairer dans votre communication les responsabilités de chacun dans la politique métropolitaine et cet enjeu décisif des marchés agricoles de l’agglomération. Car il y a une histoire des marchés agricoles et de l’action publique les concernant.
Vous évoquez d’ailleurs dans votre lettre la privatisation du marché de gros, passant de Perrache à Corbas. Vous avez bien raison. Il faut rappeler qu’il existait il y a 10 ans un marché public d’intérêt national, le marché gare derrière Perrache, qui était le lieu historique de rencontres entre les producteurs locaux de la région, et les consommateurs, notamment les restaurateurs. Toutes les forces politiques associées à la majorité politique actuelle de la métropole ont soutenu le projet de transformation urbaine de ce quartier conduisant au déclassement du marché gare et à son “transfert” au marché de gros privé de Corbas avec plusieurs dimensions très critiquables :
- d’abord, la privatisation de ce marché public qui a été bien sûr autorisée par l’état sur demande, à l’époque, de la communauté urbaine
- l’exclusion d’acteurs de petites taille qui ne pouvaient se retrouver dans le projet privé
- la fin d’un lieu de rencontre entre producteurs locaux, notamment maraichers et les restaurateurs de l’agglomération
- des opérations foncières aux enjeux énormes et difficiles à apprécier pour les citoyens
A l’époque, les producteurs locaux, notamment de fruits et légumes, étaient fortement opposés à ce déclassement. Le président de la Chambre syndicale du Rhône des grossistes en fruits et légumes, qui représentaient 80 % des grossistes du MIN, affirmait. « La formule du tout-privé entraînera l’arrêt de mort d’un certain nombre d’entreprises qui n’auront pas les moyens de s’installer dans le nouveau complexe. »
Pourtant, dans sa séance publique du 3 mars 2003, le conseil de communauté adoptait la délibération n° 2003-107 qui demandait à l’état le déclassement du MIN et engageait ainsi sa transformation. Je vous invite à retrouver les votes des forces politiques que vous interpellez aujourd’hui. Le groupe communiste a été le seul à refuser de participer à ce vote pour ne pas cautionner la privatisation du marché gare derrière son projet de développement par ailleurs nécessaire.
Fort heureusement, la pression des producteurs locaux a conduit à la création d’un « carré des producteurs » dans ce marché de gros privé, qui permet aujourd’hui à tout petit producteur de pouvoir participer à l’échange avec les consommateurs locaux. Celà ne répond pas à la diversité des acteurs et des échanges nécessaires, mais on doit en tenir compte dans toute stratégie alimentaire métropolitaine.
Vous faites référence aux projets de la métropole, qui sont, comme vous le savez, très nombreux et génèrent une « documentation » volumineuse qui n’est accessible de fait qu’aux « experts ». Mais le débat métropolitain ne se limite pas à la large majorité constituant l’exécutif métropolitain dont le consensus aboutit à ces nombreux documents. Je vous invite à prendre connaissance de la critique exprimée par les élus communistes et parti de gauche lors du débat sur la stratégie alimentaire métropolitaine, qui se concluait en soulignant qu’on était loin d’une « posture consensuelle de la métropole » évoquée par le président Kimelfeld et le vice-président Charles dans la présentation du rapport.
Sur la crise sanitaire, son impact agricole et alimentaire
Vous avez bien raison de noter l’impact de la crise sanitaire sur une crise agricole et alimentaire. Tout le monde s’accorde sur cet enjeu, et plus globalement d’une crise économique et sociale dont le plus grave est à venir. Nous savons tous que la question fondamentale est de savoir si cette crise sera gérée par la société capitaliste comme toujours au profit des plus riches, ou si elle peut pousser à innover pour faire grandir des réponses collectives différentes, porteuses d’une autre société plus juste et solidaire. Je suis convaincu que ce ne sera possible que par une mobilisation sociale forte, et qu’on ne peut espérer de rupture véritable qui soit le fait des institutions existantes.
C’est pourquoi il faut observer attentivement ce qui s’est fait dans cette période et qui pourrait utilement être valorisé. Vous écrivez :
Si des initiatives ponctuelles et individuelles se mettent en place par le jeu des réseaux et des connaissances, de nombreux habitants (notamment des quartiers prioritaires de la politique de la ville, devenus de véritables déserts alimentaires) se trouvent dépourvus de tout accès aux produits frais.
Non seulement les réactions ne se limitent pas à des initiatives ponctuelles et individuelles, mais des élus ont tout de suite pris en compte la solidarité dans les actions innovantes pour apporter des légumes et fruits dans les quartiers ! Pour prendre un exemple, l’équipe municipale de Vénissieux a très vite organisé plusieurs points de distribution de paniers de producteurs, ce qui a permis de poser de manière concrète la question de l’inégalité d’accès aux produits frais. Sur le point de distribution des minguettes, les habitants constataient que ces produits producteurs étaient proposés en quantité trop faibles et à des prix trop élevés. Très vite, nous avons du ajouter un point primeur avec un distributeur, plus proche des prix et des quantités que les habitants connaissaient sur le marché des minguettes.
Vous évoquez d’ailleurs cet enjeu
lutter contre la fracture alimentaire entre les citoyens qui risque encore de s’accentuer avec l’explosion de la pauvreté et des inégalités
C’est tout l’enjeu de la stratégie alimentaire métropolitaine, qui sur ce point ne manque pas de bonnes intentions, mais ne porte pas de critique de la politique agricole nationale, et pour cause, elle est conduite pratiquement par la même majorité politique !
Or, sans remettre en cause la politique agricole commune européenne et la priorité à l’agrochimie pour l’essentiel de la production agricole, le développement de marchés locaux bios ne peut que servir de vitrine agréable pour les plus aisés pendant que l’essentiel de l’alimentation de la majorité reste dominé par l’agrochimie. Et quand le marketing s’empare du « vert », il produit cette aberration d’un chiffre d’affaire du bio en grande distribution massivement importé !
La question des inégalités dans l’accès à une alimentation de qualité est intimement lié à la politique agricole et de distribution, et nous ne pouvons nous satisfaire d’une stratégie métropolitaine qui au fonds, reste conçue pour satisfaire une minorité.
Notez au passage que la métropole a décidé, avec le soutien des élus communistes et parti de gauche, d’une politique d’aide économique importante, 60 M€ venant en complément du fonds de solidarité nationale, fonds qui concerne aussi potentiellement les agriculteurs et les associations employeurs.
Certains pensent que le « jour d’après » serait un jour de changement. Nous savons que le capitalisme est le champion du « tout changer pour que rien ne change ». La crise actuelle et la crise de demain ne feront que prolonger une crise ancienne dont l’issue suppose une rupture politique franche, et la crise sanitaire n’en est aucunement porteuse par elle-même.
Sur le fonds du projet alimentaire territorial du Grand Lyon
Faire le lien entre la production agricole et la consommation n’a rien d’innovant. Le marketing « de la terre à l’assiette » s’en est emparé depuis longtemps. Et ce n’est pas en plaçant cette relation à l’échelle de la métropole que cela apporte des solutions, même si la métropole a effectivement des compétences « de la terre à l’assiette ».
Notre première critique de la stratégie alimentaire métropolitaine porte sur son échelle géographique. La métropole est bien sûr légitime à développer une stratégie agricole et alimentaire, mais elle est d’abord confrontée aux enjeux de l’aire urbaine, de la région, et plus globalement de la politique agricole nationale et européenne. Elle l’est d’abord pour la part déterminante de ses échanges mais aussi pour les raisons géographiques des bassins d’eau, météorologiques des masses d’air et des circulations de polluants, enfin parce-que ses acteurs locaux travaillent dans le cadre de la politique agricole globale.
Nous nous prononçons fortement pour développer les circuits courts, l’alimentation locale, et donc les synergies locales entre production et consommation. De ce point de vue, nous pensons que la restauration collective et notamment les cuisines centrales des collectivités sont un outil essentiel et sous-utilisé. Mais nous pensons totalement idéaliste de rêver d’une autonomie alimentaire métropolitaine [1]. La part de l’alimentation qui viendra de l’extérieur de la métropole, et même de son aire urbaine, et même de la région, restera toujours importante. Elle doit donc faire partie intégrante d’une politique métropolitaine qui vise réellement à se préoccuper de l’alimentation de tous.
Ce constat ne s’oppose pas à l’objectif de 15% de production locale, ni aux actions « du repas des moins de 80km ». Il les situe simplement dans cette réalité profonde que la vie moderne est tout autant dans la proximité que dans l’échange, que nos populations largement métissées vivent en lien avec des dizaines de régions et pays et que les échanges lointains sont aussi importants pour tous que les échanges de proximité.
Bref, nous reconnaissons le besoin d’acheter local, mais aussi d’acheter ses abricots dans la drome, ses poulets en Bresse, son salers dans le Cantal, sa charcuterie en Haute-Loire ou dans le Vercors, ses fromages dans le maconnais… et d’aimer les dattes tunisiennes ou algériennes, les bananes guadeloupénnes, l’ouzo grec ou les si fameux fromages italiens, la liste pourrait être beaucoup plus longue !
Opposer la production locale aux échanges est pour nous un leurre dangereux. Au contraire, pour développer une agriculture urbaine, péri-urbaine, et rurale sur d’autres bases que le modèle agrochimique dominant, les producteurs locaux ont besoin de transformer les circuits de distribution. Il ne s’agit pas de développer une distribution alternative spécialisée dans la seule production locale, mais de permettre à la production locale de prendre plus de place dans la distribution globale, afin de prendre une part plus grande de la consommation globale.
Au plan national, cela nous conduit à mettre en débat la nationalisation des grands groupes de la distribution, pour repenser une logistique qui relie le local au régional et au national, avec une planification permettant de réduire les coûts de distribution non pas en réduisant les coûts de transport et stockage, mais en réduisant les distances parcourues et les pertes, en relançant massivement le fret alimentaire [2], tout en donnant accès à tous au plus large marché.
Au plan de votre proposition d’un marché alimentaire métropolitain, nous considérons qu’il doit donc s’inscrire dans une stratégie globale incluant le marché de gros de Corbas et son carré des producteurs. Et nous pensons que la réponse ne peut se réduire à un « marché » mettant en relation producteurs et consommateurs, mais doit aussi s’appuyer sur la commande publique planifiable pour apporter de la stabilité et de la visibilité aux producteurs. De même, il est nécessaire d’associer largement les milliers de jardiniers des parcelles individuelles, des jardins collectifs et des jardins partagés, et affirmer une politique volontariste de développement des jardins de ville notamment en affirmant l’obligation de reconstitution lors de projets privés comme publics.
Notre deuxième remarque sur la stratégie alimentaire métropolitaine porte sur l’absence de réelle critique de la politique agricole nationale. L’opposition affirmée au « modèle alimentaire actuel, productiviste, spécialisé et mondialisé » n’est qu’apparente puisqu’elle repose sur l’illusion que la métropole pourrait s’extraire du cadre national et européen. Au contraire, la stratégie agricole de la métropole doit se construire avec la grande majorité des agriculteurs, en prenant en compte les conditions économiques et sociales de leur métier, pour les accompagner malgré les politiques nationales dans l’évolution des techniques notamment vers la suppression des pesticides, la diversification des méthodes et des productions. Elle doit se construire avec la majorité des distributeurs et commerçants, pour faire évoluer globalement les méthodes et les produits pour tous les consommateurs. Les réseaux alternatifs, comme les AMAP, sont des incitateurs à évoluer et doivent aider à mettre en place des politiques publiques qui s’appliquent à l’ensemble du secteur. La métropole doit se donner les moyens d’obtenir des engagements des grands réseaux de distribution et de vente.
En conclusion, nous ne pensons pas qu’une démarche préélectorale de mise en place d’un énième comité de pilotage métropolitain soit d’actualité. Nous consacrons tous nos efforts au débat public sur les alternatives à la politique métropolitaine actuelle, sur les conditions d’un rassemblement politique en rupture avec la majorité métropolitaine en marche. C’est vrai pour le plan de relance métropolitain en cours de discussion comme de la stratégie alimentaire métropolitaine.
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