Drogue, comment construire une prise de parole collective ? Enregistrer au format PDF

Jeudi 5 avril 2018 — Dernier ajout vendredi 6 avril 2018

La rencontre organisée par la section PCF de Vénissieux au cinéma Gérard Philippe a ouvert un débat public riche sur un sujet qui n’est le plus souvent abordé que sous l’angle des trafics et de l’action de la police.

Le film Chouf, un polar terrible ou un jeune, promis à de brillantes études s’enfonce dans le trafic pour comprendre pourquoi son frère y est mort, et se fait finalement tuer lui-même, a marqué la soirée par cette violence terrible des trafics. Mais le débat a montré qu’il était indispensable de débattre de la consommation, de ses causes et de ses conséquences sur la vie personnelle, familiale, sociale…

J’avais justement introduit le film et la soirée dans cet objectif.

Pourquoi cette rencontre ciné-débat sur les drogues ?

Permettez-moi tout d’abord de remercier Myriam Guillaume, journaliste de la Marseillaise, qui a passé de longues heures à la gare Saint-Charles pour tenter de prendre un train malgré la grève, qu’elle soutient d’ailleurs comme nous… Merci bien sûr aussi à Michèle Picard, que beaucoup d’habitants interpellent sur les questions de sécurité dans les assemblées de conseil de quartier notamment, mais qui reçoit aussi beaucoup sur ce sujet dont elle a gardé la délégation personnellement. C’est un choix fort pour prendre en main avec détermination une des premières préoccupations exprimée par les Vénissian.

Permettez-moi aussi de présenter nos excuses aux personnes du pôle LYADE dont nous avons annoncé la présence qui n’était pas encore validée. Nous sommes allé un peu vite et il faudra prendre le temps d’échange plus approfondis sur la forme que peut prendre un débat public à vocation citoyenne, donc politique avec les acteurs de la prévention et du soin.

Cela me conduit à dire pourquoi nous avons voulu cette soirée. La question des drogues est très présente dans la vie de nos quartiers, dans les questions des habitants adressées aux institutions, dans les assemblées générales des conseils de quartier, et comme habitant, nous sommes nombreux à voir les points de vente, leur impact sur la vie d’une allée, les tensions entre habitants, les interventions de la police, et nous lisons la presse qui fait état quasiment chaque semaine d’une interpellation, d’une découverte de stupéfiants, et plusieurs fois par an, d’un réseau démantelé…

Tout le monde reconnait l’importance du travail de police, si je mets de coté les instrumentalisations politiciennes de quelques-uns qui confondent la vie politique et la foire aux polémiques. Et pourtant, cet énorme travail de présence, d’investigation, d’arrestation donne le sentiment qu’il ne peut faire reculer les trafics, qui se déplacent, reviennent, qu’un vendeur arrêté est remplacé immédiatement, et qu’en résumé, malgré ce travail de police, le trafic se développe.

Nous en tirons la conclusion qu’on ne peut parler des drogues seulement sous l’angle de la répression des trafics, mais aussi et beaucoup plus de la question des consommations, de leurs causes et de leurs conséquences, autrement dit, parler de l’enjeu de santé publique des addictions. Et s’il se fait beaucoup de choses dans ce domaine, ce qui saute aux yeux, c’est sans doute que les moyens consacrés à la prévention et au soin des addictions restent totalement insuffisants.

Notre objectif avec ce ciné-débat est de chercher à contribuer à faire émerger une parole publique collective, citoyenne pour dire que les drogues, ne sont pas seulement une nuisance pour la tranquillité publique à cause des trafics, mais aussi un drame pour des personnes, et chacun peut penser aux ravages de l’alcoolisme, aux cancers du tabac, aux adolescents cassés par une addiction, et aussi un drame pour les familles et pour la vie sociale. Combien de parents désemparés quand la police découvre un stock de stupéfiant dans la chambre de leur enfant ? J’ai le souvenir vif d’un drame survenu dans mon quartier, un jeune qui en tue un autre pour un impayé de trafic, deux familles détruites, l’une parce-que son enfant est mort, l’autre parce-qu’il est en prison pour longtemps…

Nous pensons qu’une prise de parole publique est indispensable, que comme citoyen, nous ne pouvons pas dire à la police « régler le problème », et qu’au contraire, il faut faire un énorme effort pour connaitre et comprendre ce fait de société qui n’est pas nouveau, évidemment pas spécifique à Vénissieux, ni à la France.

Il y a beaucoup de questions ouvertes à débattre.

  • tout le monde nous dit que la consommation progresse et se banalise, mais les études de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies disent au contraire que les consommations sont en baisse, autant pour l’expérimentation que pour la consommation régulière, et cela, pour l’alcool, le tabac, et le canabis… et il semble que parfois l’addiction aux écrans vienne prendre une part du besoin de dépendance…
  • on parle souvent de trafiquants qui mènent la belle vie, de gros billets plein les poches, mais les études économiques évaluent le marché total des stupéfiants à 2 à 3 Milliards en France, pour un millier de réseaux, organisant 250 000 vendeurs et grossistes, soit 10 000€ par personne en moyenne, et bien sûr beaucoup plus pour les grossistes et beaucoup moins pour les vendeurs de rue… Autrement dit, pour ceux qui friment devant une allée, en réalité, c’est beaucoup moins qu’un SMIC en moyenne… Bien sûr, à quelques moments, ce sont des gros billets qui passent, mais la vie réelle d’un petit trafiquant, c’est comme pour le consommateur, quelques instants de frime pour un quotidien de violence, de précarité, de rupture familiale et sociale, souvent affective.
  • on dit parfois que la légalisation du canabis, voire de toutes les drogues, résoudrait le problème, mais évidemment, elle ne résoudrait pas le problème de santé publique, et quand on voit les efforts nécessaires pour sortir de la dépendance à l’alcool ou au tabac, qui peut penser qu’ajouter d’autres stupéfiants n’aurait pas de conséquences ? Nous avons fait état dans notre journal des études sur les conséquences de la légalisation dans deux états des USA qui montre que les mafias n’abandonnent pas le marché légalisé, au contraire ! Ce que nous voyons d’ailleurs pour le tabac quand on connait le marché des minguettes et qu’à force d’entendre « malboro, malboro », on finit pas savoir ou sont planqués les cartouches de contrebande…

C’est sur ces questions et d’autres certainement, que nous pensons qu’un débat public est nécessaire, pour tout le monde. Bien sûr, il y a le travail des soignants et des acteurs de la prévention, de l’accompagnement des personnes confrontées à une addiction, mais il y a aussi un débat public, en fait donc un débat politique au sens noble, sur la société que nous voulons et comment nous considérons ceux qui souffrent dans cette société. Quand on évoque cette question pour l’alcool, tout le monde comprend… même s’il y a des centres de soins pour alcooliques, on a aussi une responsabilité collective sur la place de l’alcool dans la société, sur la banalisation de l’ivresse que parfois même on peut valoriser culturellement. Pour une part, quand on ne peut pas dire à un ami, tu bois trop, on partage bien une forme de responsabilité sur son addiction.

C’est la finalité de cette soirée : Comment aider des citoyens, des parents, des jeunes, des soignants, des éducateurs… à prendre la parole collectivement sur la place des addictions dans notre société, à affirmer collectivement que ce n’est pas qu’une question individuelle, que ce n ’est pas qu’une question de répression, mais que c’est une question qui relève d’un choix de société, de ce que certains appellent le vivre ensemble. Nous espérons qu’elle permettra de prendre des contacts, et peut-être de créer un collectif de prise de parole.

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