L’ordre des priorités n’est pas anodin, puisqu’on ne sait pas trop pourquoi il faudrait consommer moins d’énergie, si c’est une énergie renouvelable non émettrice de gaz à effet de serre ? La réponse est dans le fait qu’il ne s’agit que de l’électricité ! Car les « réseaux intelligents » ce sont bien sûr les réseaux électriques, et l’énergie qu’il faut moins consommer, c’est l’énergie électrique sur laquelle portent tous les projets évoqués par Gérard Collomb :
- l’expérience pilote du compteur Linky, qui permet aux fournisseurs d’électricité de faire des offres différenciées selon leurs clients, avec la possibilité de couper à distance et de faire payer différents tarifs selon les usages
- l’opération Wat et moi qui « responsabilise » le consommateur individuel en lui affichant en permanence sa consommation
- le démonstrateur « smart community » pour faire du quartier confluence un quartier « auto-suffisant »
- le projet « Optimod’Lyon » pour optimiser les déplacements urbains en temps réel avec l’accueil de la navette urbaine électrique, des voitures électriques en auto-partage avec « recharge en renouvelable »…
NegaWatt ou NegaTep ?
Or, l’électricité en France ne compte que pour une faible part des gaz à effet de serre. C’est le chauffage résidentiel et le transport qui sont les gros consommateurs de pétrole, gaz et charbon, énergies fossiles qui constituent 70% de l’énergie consommée et l’essentiel des émissions.
Si donc l’urgence est la réduction des émissions à effet de serre, pourquoi concentrer la transition énergétique sur l’électricité ? En fait, chacun sait bien pourquoi ! Parce que la priorité de la plupart des acteurs n’est ni le changement climatique, ni la précarité énergétique, ni l’efficacité énergétique, mais avant tout la sortie du nucléaire et pour certains, la sortie du service public ! Les majorités de droite puis de gauche depuis le Grenelle de l’environnement ont accepté de s’inscrire dans un discours sur l’environnement qui masque ce choix fondamental.
Et si certains pays semblent « vertueux » dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas qu’ils ont réduit leur consommation d’énergies fossiles pour l’électricité, le chauffage ou le transport, mais qu’ils se sont déindustrialisés fortement… C’est le cas de la France, mais aussi de la Pologne dont la plus grande part des industries de l’époque socialiste ont été détruites, ce qui fait que ce pays pourrait revendre d’énormes quantité de quota carbone qui ne sont plus utilisés, ce qui contribue à l’effondrement des cours de ce marché carbone qui devait être un marché « vertueux »…
Certains diront, « l’électricité est émettrice de gaz à effet de serre par les consommations de pointe qui font appel à des énergies fossiles ». Ce qui est curieux, c’est que ce sont toujours ceux qui veulent continuer à financer les éoliennes et le photovoltaïque dont l’intermittence oblige à les compléter par gaz et charbon… [1]. En général, les mêmes répondent : « mais non, avec les réseaux intelligents, on va pouvoir consommer de l’éolien pendant la nuit, du solaire quand il n’y a pas de vent, et stocker l’électricité dans les voitures en recharge la nuit… » En fait, toutes les études montrent que ce n’est pas possible, et que même en acceptant une augmentation de la part de fossiles dans l’électricité, la réduction du nucléaire et le développement de productions locales et intermittentes suppose un développement vertigineux des réseaux électriques que personne ne veut et que l’Union Européenne évalue à des centaines de milliards d’Euros. C’est vrai globalement en Europe où le plus gros de l’éolien sera produit en Mer du Nord et le plus gros du solaire dans le sud, ce qui suppose de grandes infrastructures de réseaux à très haute tension… que les habitants concernés refusent bien entendu. C est vrai aussi au niveau local pour intégrer la variabilité dans les réseaux de distribution. Il ne faut jamais oublier que les risques d’un réseau non équilibré entre demande et production, ce sont des accidents industriels et économiques majeurs, les « black out » qui mettent un pays dans le noir pendant des heures.
Si les « Smart Grid » sont indispensable c’est bien que pour accepter cette production variable, il faut trouver comment rendre la consommation tout aussi variable. Or, elle dépend des modes de vies et des usages de millions de personnes… [2]. C’est ce que les experts appellent « l’effacement intelligent », qu’on peut définir par la règle suivante :quand c’est nécessaire pour le fournisseur on « efface » une consommation, autrement dit on coupe un client !
Comme on ne peut pas garantir que l’effacement intelligent et volontaire suffise, il faut accepter l’idée d’une augmentation forte des coupures intempestives, autrement dit une baisse de la qualité de service. Les habitants de Californie qui en ont les moyens ont tous un groupe électrogène pour produire leur électricité en cas de besoin… En France, on avait l’habitude avec EDF d’un niveau de service exceptionnel, quelques minutes de coupure par usager et par an en moyenne…
C’est le sens profond de la priorité donnée à la réduction des consommations.. électriques. Au lieu de mettre l’accent sur la réduction des énergies fossiles, ce que propose le scénario NegaTep (pour Tonnes équivalent pétrole) on met en avant le scénario NegaWatt (le Watt étant l’unité courante de puissance électrique..) pour mettre en cause et le nucléaire et le service public.
Le marché est inefficace, injuste, non renouvelable !
Mais comment faire accepter au grand public de ne plus s’éclairer quand on le souhaite, de réduire son usage d’équipements électriques , (médias, froid, cuisine…), de baisser la qualité de service pour… les intérêts des fournisseurs privatisés ou privés d’électricité ! Et bien on lui dit que c’est « pour le climat », on le déshabitue progressivement des acquis du service public à la Française, un prix bas, un service de qualité apporté à tous, une péréquation sur toute la France… Petit à petit, chacun considère l’énergie comme une marchandise comme une autre.. et bien sûr, chacun le sait, il y a les pauvres, les riches, et même les très pauvres, les très riches, et chacun consomme… selon ses moyens. Pendant que toutes les institutions s’inquiètent officiellement de la progression de la « précarité énergétique », on aggrave toujours plus ce caractère « marchand » de l’électricité, au grand profit de tous les industriels de l’énergie qui espèrent bien faire leur profit sur le démontage accéléré du service public qu’était DEF.
- Quand une famille en grande pauvreté paie difficilement son électricité, elle paie comme tout le monde la « contribution pour le service public d’électricité », dont une petite part paie les tarifs sociaux, mais dont l’essentiel paie le coût de l’électricité « verte » du photovoltaïque et de l’éolien, c’est à dire paie ceux qui la produisent, dont de nombreuses familles aisées qui ont fait installer des panneaux sur leurs toit, et ont bénéficié pour cela de subventions et crédits d’impôts… Au total, des millions de familles populaires paient sur leur facture EDF plusieurs dizaines d’Euros qui vont se transformer en centaines d’Euros dans les poches de quelques dizaines de milliers de familles aisées et en milliers d’Euros dans celles d’industriels investisseurs dans le renouvelable…
- Même chose avec les tarifs à bonus-malus proposés par le gouvernement et qui ont été rejetés dans un premier temps au Sénat avec l’action des parlementaires communistes, que le gouvernement a imposé avec la majorité PS Verts à l’assemblée, avant que le conseil constitutionnel n’invalide cette disposition… Difficile de comprendre cet acharnement du gouvernement sur une si mauvaise « bonne idée »… Car là encore, que va-t-il se passer ? Les familles populaires qui n’ont pas le choix de leur logement ni de leur chauffage ont une consommation « contrainte ». Elles n’ont pas le choix et beaucoup se retrouveront avec un malus, en tout cas sans bonus. Mais les familles qui auront pu investir dans un immeuble neuf récent, aux normes énergétiques actuelles, ou celles qui auront bénéficié de crédits d’impôts pour isoler leur maison, installer une pompe à chaleur, vont pouvoir se féliciter d’être dans les « bons élèves » et avoir le tarif « bonus »…
- Quand une famille se retrouve avec un fournisseur privé et se retrouve dans l’incapacité de payer, le fournisseur coupe, et les services sociaux appellent EDF pour mettre en place le service minimum !
- Et quand on étudie le « taux d’effort » des familles selon leur mode de chauffage, on constate que les familles avec chauffage électrique consacrent un peu plus de 3% de leur ressources au chauffage alors que les familles avec chauffage au bois ont besoin d’un peu plus de 5% de leur ressources pour le chauffage. C’est à dire que le chauffage au bois est un facteur de précarité énergétique !
En fait, les exemples qui révèlent l’incapacité des solutions de marché à répondre aux exigences de service public se multiplient..
- La suisse achète de l’électricité nucléaire à bas prix à la France pendant la nuit pour remonter l’eau des ses barrages et revend au prix maximum aux heures de pointe de… l’électricité renouvelable !
- Les producteurs d’éolien en mer du Nord se font payer l’électricité qu’ils auraient pu produire mais qu’ils n’ont pas produit parce que le réseau n’en avait pas besoin !
- Des industriels sont payés pour faire tourner des machines qui ne sont pas utiles mais qui consomment de l’électricité dont on ne sait pas que faire…
Tout confirme que le « marché » ne peut pas être un outil de régulation au service d’objectifs politiques, de l’intérêt général, et surtout pas de l’intérêt des plus pauvres, mais qu’il est toujours au service de la rentabilité des investisseurs, et de l’intérêt des plus aisés… Tous les étudiants en marketing apprennent cette notion essentielle de la « segmentation de la clientèle »… faire la différence entre les gros clients et les petits, ceux qui rapportent et ceux qu’on fait payer cher…
Au contraire, nous devons affirmer avec force le droit à l’énergie, un droit à une énergie décarbonée pour répondre à l’urgence climatique, propre pour la qualité de l’air [3], efficace pour répondre aux besoins de manière intelligente, et accessible avec un prix bas partout sur tout le territoire…
des réseaux intelligents pour le consommateur ou pour le fournisseur ?
Or, c’est bien le marché qui se cache derrière ces « réseaux intelligents ». Car il pourrait y avoir un vrai enjeu d’une consommation « intelligente », contribuant globalement à la bonne régulation du réseau électrique. Le service public avait mis en place il y a longtemps des outils, tarif EJP, heures creuses… Un plan public d’investissement dans la « domotique » aurait pu contribuer à aider le consommateur à consommer aux heures creuses et à ne pas consommer aux heures de pointes… Mais en lui disant la vérité. Il faut consommer au maximum l’électricité nucléaire, qui est la moins chère et la plus disponible, et au minimum l’électricité d’origine fossile, l’hydro-électricité devant être le principal outil d’équilibrage entre demande et production. Cela n’a que peu à voir avec les émissions de gaz à effet de serre, ni avec les discours sur la « green economy ». Au contraire, le chauffage électrique dans un bâtiment fortement isolé et à forte inertie thermique est parfaitement adapté pour garantir le confort thermique sans consommer entre 18h et 21h… c’est donc une excellent outil pour une consommation intelligente, mais cela pousse à augmenter la consommation électrique, c’est donc rendu totalement impossible dans la règlementation de la construction.
Le compteur Linky a été pensé pour les fournisseurs, sans rien prévoir coté consommateur et il fallu de longues batailles pour garantir que le consommateur ait accès aux données de ce compteur « intelligent », car les fournisseurs veulent garder la main sur ces données qui seront une base de connaissance pour adapter leurs offres commerciales. Un autre compteur « intelligent » serait possible en intégrant des composants domotiques standard permettant au consommateur de piloter automatiquement ses appareils électriques.
Si nous avions une électricité disponible partout et peu chère, c’est que la France avait fait le choix d’une production de masse permise par le nucléaire, et d’une distribution égalitaire permise par le service public. Mais au lieu d’ajouter de l’intelligence dans le service public pour développer les filières industrielles des énergies renouvelables sur la base d’investissements publics, pour innover au service du maintien de la qualité de service et de la réponse au besoin, les politiques publiques multiplient des actions présentées comme « environnementales », mais dont la vraie finalité est de faire exploser ce service public.
Vos commentaires
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
Suivre les commentaires : |