Tarifs Progressifs de l’électricité : une fausse bonne idée ? Enregistrer au format PDF

La fin du tarif régulé et de la péréquation territoriale…
Lundi 17 septembre 2012 — Dernier ajout mardi 25 septembre 2012

Le gouvernement annonce une modification importante du tarif régulé de l’électricité. Ce tarif serait désormais progressif, avec une première tranche de consommation de base moins chère qui représenterait une aide garantissant un droit minimal à l’électricité, une deuxième tranche à un prix « normal », et une troisième tranche à un prix augmenté qui dissuaderait les consommations trop importantes.

Cette idée de tarif progressif, porté notamment par les écologistes, est présenté comme l’outil pour assurer le droit à l’énergie des plus pauvres, tout en favorisant la réduction des consommations. Quand on y réfléchit, cela pose plusieurs questions, et même, comme souvent dans les questions environnementales, cela interroge sur les conséquences concrètes derrière les objectifs affichés.

  1. oui, il faut réduire les consommations énergétiques, mais est-ce que le plus important concerne l’électricité ? On sait que les réserves de pétrole seront vite épuisées, et que sans les gaz de schistes, la situation est aussi tendue sur le gaz… Mais l’électricité en France ne dépend que très peu de ces énergies fossiles, et malgré les records de consommation, le réseau Français répond à la demande… Alors pourquoi d’abord un tarif progressif de l’électricité et pas des carburants et du fuel ?
  2. En France, il y a déjà plusieurs tarifs régulés ! le tarif de base, l’option heures pleines/heures creuses, l’option Tempo qui va plus loin dans la possibilité de consommer « aux bonnes heures », et enfin l’option d’effacement des jours de pointe (EJP), plus contraignante. Ces différents tarifs ne différencient pas plusieurs types de clients, mais suivent une logique temporelle qui différencient les heures de consommation d’électricité. Leur objectif est de la réduire justement dans ses pointes… Cette logique est celle d’un service public qui chercher à optimiser au mieux les moyens mis à sa disposition… Elle est aussi environnementale, car elle réduit la consommation pendant les pointes ou il est nécessaire de faire appel à des centrales gaz ou pétrole… Qu’est ce qui est le plus important : réduire la consommation de pointe ou réduire la consommation moyenne ?
  3. En France comme partout dans l’Union Européenne, il y a progression des offres dérégulées, avec une pression à la hausse du prix de marché. Certains disent que cette hausse du prix de marché est normale et liée à une hausse générale du coût de l’énergie. Mais ce n’est vrai que pour ceux dont l’électricité est à dominante fossile ! En France, ce n’est pas le cas, et des organismes patronaux disent sans équivoque qu’il faut augmenter l’électricité pour permettre l’entrée de nouveaux acteurs privés ! Quand on voit la pression que l’entreprise anciennement service public mais privatisée GDZ Suez met pour obtenir l’augmentation du gaz, on voit bien que les lobbys qui poussent à l’augmentation de l’énergie sont très puissants ! Or, il y a des différences importantes entre un tarif régulé et un prix de marché.
  • Le tarif régulé assure une péréquation tarifaire, apportant le même service au même prix partout sur le territoire.
  • le tarif régulé est public, transparent et simple. La créativité commerciale des fournisseurs privés invente au contraire une grande diversité de tarifs, comme dans la téléphonie par exemple, pour se différencier des concurrents, même si le prix moyen augmente ! On sait par exemple que dans le rail, le service public apportait un prix unique, lié à la distance, et qu’aujourd’hui, dans le même wagon, il y a des dizaines de prix différents ! Dans un avion, c’est pire, des logiciels complexes calculent le nombre de places à bas prix, à prix moyens, ou chères dans l’objectif de rentabiliser au mieux l’avion, c’est à dire d’augmenter le prix moyen… Plus on nous parle de prix cassé, plus le prix moyen s’élève… Le bonus-malus ne va-t-il pas favoriser les offres privés qui vont pouvoir l’intégrer dans leur politique commerciale ? Les assurances proposent ainsi des contrats avec bonus garantis à leurs « bons » clients…
  1. Faut-il maintenir la péréquation tarifaire territoriale ? Et si on la supprime pour tenir complet des consommations moyennes, alors pourquoi ceux qui ont des sites de production à proximité ne pourraient-ils pas en bénéficier en payant moins cher que ceux qui « importent » l’électricité du réseau ? Quand on commence à différencier les tarifs, on ouvre en fait la boite de Pandore des logiques commerciales !
  2. Quid du débat sur le tarif régulé et le prix de marché ? Personne ne parle de la TARTAM, cette taxe que les consommateurs du tarif régulé paient pour compenser le prix de marché élevé de ceux qui ont décidé de sortir du tarif régulé, principalement des entreprises qui ont crues que le privé c’était mieux et qui ont vu leur facture exploser… Ils ont demandé à l’état une subvention qui leur a été accordée et que nous payons.. Ne faut-il pas d’abord rediscuter de la place du tarif régulé dans la politique énergétique ?
  3. le tarif progressif serait accompagné d’une forte augmentation du nombre de foyers concernés par les tarifs sociaux. Mais cela suffit-il à compenser l’inégalité de fait dans la consommation d’électricité ? Le riche propriétaire d’une belle villa dans le Sud, avec des matériels neufs très performants énergétiquement consommera moins que la famille de salariés d’une ville du Nord avec un chauffage électrique et de vieux équipements dont certains défaillants et sur-consommateurs… Le tarif progressif est-il alors juste ?
  4. le marché dérégulé était resté très limité en France, trop aux dires des promoteurs de la privatisation, notamment parce que le tarif régulé était historiquement bas en France. Mais que feront les gros consommateurs ? Si leur facture augmente, ils auront encore plus intérêt à regarder les offres privés… et si la consommation « chère » ne compense pas la subvention de la première tranche de tarif… il faudra l’augmenter !

Comme souvent dans les débats environnementaux, on remplace une politique publique par la recherche d’un effet de marché. C’est le principe des accords de Kyoto, des projets de taxe carbone… tout passerait par les prix ! Mais nous avons pourtant beaucoup d’exemples qui montrent que les marchés sont aveugles, inégaux, toujours ouverts aux fraudes des petits malins aux initiés en cols blancs, et toujours dominés par une seule logique, celle du gain privé ! De fait, si on revient sur l’ouverture du marché, et qu’on recrée un service public assurant le droit à l’énergie, avec un tarif régulé assurant la péréquation territoriale, on peut alors avoir une politique tarifaire incitative à la réduction de consommation sans effets de bords, mais ce serait pour le coup un sacré changement (maintenant !).

Une politique publique a d’autres outils à sa disposition, ceux du plan en général et des plans d’investissements dans telle ou telle priorité économique, sociale ou environnementale. Nous verrons ce que deviendra le plan pour l’isolation d’un million de logements (combien d’argents publics notamment pour les logements sociaux ?)… Mais l’urgent pour la consommation électrique serait au contraire de réaffirmer le principe du tarif régulé, en renforçant les règles qui limitent la consommation de pointe, en développant une domotique simple et accessible pour une meilleure optimisation des horaires de consommation… Ce serait le contraire du compteur Linky dont l’objectif est d’offrir un outil souple de diversification des offres commerciales, et pas du tout d’aider le consommateur à consommer intelligemment…

En France, la réduction des émissions carbonées ne passent pas par la réduction de la consommation électrique des habitants [1] !

[1La crise a fait passer le ratio tonnes de CO2/habitant en dessous de 6 en France, sachant que la moyenne mondiale est autour de 4, que la Chine approche des 5 tonnes, que le Qatar est passé depuis 1990 de 25 à 55 tonnes / hab, que l’Allemagne reste autour de 10 tonnes/habitant depuis 2002 alors que sa décision récente de remplacer le nucléaire par des renouvelables complétées par du charbon fait repartir ses émissions à la hausse…

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