La logique de l’élection présidentielle est terrible…
Nous le savons depuis longtemps, c’est l’outil politique inventé par la bourgeoisie française pour reconstruire périodiquement sa domination. Depuis 20 ans au moins, elle se construit sur ce piège d’un 2e tour qui oppose le pire contre ce qu’on ne veut pas. Cette élection hypermédiatisée affaiblit à chaque fois la démocratie elle-même, on ne vote plus pour des idées, des revendications, un projet de société, mais pour éviter le « roi » qu’on ne veut pas.
Mais la mobilisation électorale nous pousse inconsciemment à l’idéalisme. La belle campagne des jours heureux et la candidature dynamique de Fabien Roussel nous a fait espérer ce qui au fonds relevait du miracle. Et le miracle n’a pas eu lieu. La logique dominante de la présidentielle est celle du deuxième tour, du vote utile et ce sont les médias avec les sondages qui décident qui peut être utile. C’est la première victoire de ce système présidentiel. Couper le vote populaire de ses racines sociales, militantes, le détacher des luttes et des repères personnels qu’on peut y construire, en faire un acte purement électoral, médiatique, un acte sans lendemain. Comme en 2017, une fois passé le vote du premier tour, ceux qui se sont mobilisés sur l’illusion électorale se retrouveront confrontés à la dure réalité des luttes de classes. Le patronat ne fait jamais de cadeau, et il est difficile d’unir, d’organiser, pour résister et se défendre, et il ne peut suffire d’un bulletin de vote tous les 5 ans…
Les milieux populaires se sont massivement mobilisés sur la seule question que les médias leur posait [1]. Qui peut affronter Le Pen ? Qui peut affronter Macron ? A ce jeu, une Le Pen normalisée par les outrances de Zemour a mobilisé des anti-macron, y compris dans les milieux populaires. Macron aussi a grimpé, mobilisant le refus de l’extrême-droite dans les couches moyennes qui étaient pourtant critiques de sa présidence. Et Mélenchon a grimpé, battant des records de gauche dans tous les quartiers populaires tentant de refuser à la fois Macron et Le Pen, 61% à Saint-Denis ou Gennevilliers.
Le résultat est comme toujours la victoire de la bourgeoisie qui reconstruit les conditions de sa domination. Macron peut dire qu’il entend les votes anti-Le Pen dont il bénéficiera, mais il en profitera quand même pour accélérer les réformes des retraites, des statuts, de la secu toujours dans le même sens en faveur des plus riches. Le Pen en profitera pour consolider sa victoire sur les droites et rendre dominantes ses idées réactionnaires et racistes dans la contestation du capitalisme.
Que va faire Mélenchon de cette presque victoire ?
Mélenchon a longtemps représenté la gauche du parti socialiste, multipliant les initiatives pour changer le PS après le choc de 2002 où la gauche représentait encore pourtant 45% des voix au premier tour de la présidentielle. Il a rompu avec ce parti en créant le parti de gauche en 2008. En 2012, la gauche avec sa candidature est encore à 44% au premier tour. Elle se réduit en 2017 à 28% face à l’opération Macron, mais devant l’extrême-droite à 26%. Cette année, malgré le rejet de Macron, la gauche plafonne à 32%, juste derrière l’extrême-droite !
Oui, le combat continue [2] comme toujours. l’histoire ne s’arrête jamais. Mais qui veut continuer ainsi ? Car si le vote Mélenchon a aspiré presque tout l’électorat de gauche au sens large, il n’a pas inversé la tendance à droite et à l’extrême-droite ! Certains militants insoumis continueront de reprocher aux autres leur candidature, mais sans voir la dureté du résultat. Le total gauche est passé pour la première fois en dessous du total extrême-droite !
Alors, le combat continue, oui ! Mais pour construire quoi ? Faut-il tuer les derniers communistes, socialistes, et imposer leur ralliement aux écologistes [3] ?
Nous avons l’expérience de 2017. les 7 millions de voix de Mélenchon se sont évaporées dès les législatives, se sont faiblement mobilisées dans les mobilisations sociales contre les réformes Macron, et ont pratiquement disparus des élections locales successives… Résultat, 5 ans après, on recommence ?
C’est la question à laquelle les insoumis eux-mêmes doivent répondre. Ils peuvent s’appuyer sur les présidentielles pour assurer leur hégémonie aux législatives sur une gauche défaite, devenir demain le seul groupe parlementaire de gauche, et préparer les prochaines présidentielles de la même manière. Ce serait faire peu de cas de l’expérience du mouvement social et de ses difficultés à unir, organiser et défendre.
Car si encore une fois, le mouvement social est impuissant face aux réformes Macron qui viennent, alors la suite sera terrible, et ouvrira un boulevard à Marine Le Pen. L’extrême-droite faisait 20% en 2012, 26% en 2017, 32% en 2022… Si on continue comme ça, elle sera en tête et victorieuse en 2027.
Que dire du résultat de la candidature communiste ?
La candidature communiste était clairement au service justement de la reconstruction d’une gauche de combat, populaire, qui ne se réduise pas à une candidature présidentielle. Fabien Roussel a souvent évoqué les luttes sociales, d’entreprises. Il a toujours mis en avant l’intervention populaire, et son programme est celui qui allait le plus loin sur les droits à donner aux travailleurs dans l’entreprise.
Évidemment, les militants communistes sont déçus, souvent blessés de voir tant de leurs voisins ou collègues leur dirent que finalement, ils n’ont pas voté Roussel car ils avaient trop peur de ce deuxième tour annoncé.
Mais il faut replacer ce résultat dans son histoire. Sans candidat en 2022, le parti communiste aurait définitivement disparu de la vie politique en France. Il aurait été encore plus difficile de conserver des bases électorales locales, et il était impossible de mobiliser des jeunes pour un parti sans présence nationale dans le plus grand évènement politique.
Ce sujet a longtemps divisé les communistes entre partisans du Front de Gauche ou d’une candidature communiste. Le 38e congrès qui a inversé la décision reposait sur une majorité relative. Pourtant la campagne de Fabien Roussel a unit les communistes comme jamais ! Peu importe ce qu’ils défendaient en 2007, 2012 ou 2017, l’immense majorité des communistes ont construit une belle campagne, ont vécu des moments forts ensemble. L’idée que le parti communiste a de l’avenir a pris de la force dans leurs têtes. C’est un acquis précieux qu’il va falloir défendre contre la toute petite minorité qui va s’appuyer sur la déception pour revenir sur l’ancien projet de dissolution/métamorphose du PCF. Marie-Georges Buffet, qui avait étonné en apportant son soutien (tardif) à Fabien Roussel, a dégainé une des premières.
Mais cette campagne a un impact que le résultat n’affaiblit pas. De fait, le PCF est de retour dans la vie publique, les journalistes ont du le reconnaitre dans la campagne et le notent aussi dans les résultats. Factuellement, Fabien Roussel fait passer le PCF de 1,93% en 2007 à 2,31% en 2022, une légère progression dans un contexte de vote utile qui n’existait pas en 2007 !
Et la question est posée à tous ceux qui ont cru au vote utile au premier tour, que faire aux législatives ? Cette bataille n’est pas jouée. Comment empêcher Marine Le Pen d’obtenir un groupe décisif à l’assemblée ? Comment empêcher Macron de reproduire sa majorité godillot de 2017 ? Comment gagner des députés communistes pour faire vivre dans le débat parlementaire les idées et les propositions de Fabien Roussel pour les jours heureux ?
Les efforts des communistes ont été mal payés à ce premier tour, mais la logique du vote utile en Juin aux législatives peut être très différente selon les situations locales. Il ne faut surtout pas considérer que c’est joué !
Il est urgent de reconstruire les outils de mobilisation sociale !
Au fonds, le temps entre le dernier congrès des communistes et la présidentielle était bien court pour qu’une réorientation entre en pratique. Nous n’avons que peu progressé sur le retour du parti à l’entreprise. Nous n’avons toujours pas trouvé comment définir clairement notre projet de société, un alter-capitalisme ou un socialisme ? Nous n’avons pratiquement pas remis en place une organisation efficace d’un parti d’actions et pas seulement d’élections…
Le résultat est que nous ne sommes pas encore suffisamment utile au mouvement social, qui est lui-même confronté à ses divisions nombreuses, géographiques, de statuts, de revenus, de position par rapport aux échanges mondialisés… Tout ceux qui connaissent la vie syndicale ou associative le savent bien. La transmission de l’expérience militante ne s’est pas faite. Des milliers de jeunes agissent à leur manière et dans leurs réseaux de communication sans repères dans l’histoire des luttes, et la plupart des structures organisées sont vieillissantes ou dépendent de subventions publiques pilotées par des élus…
Il est urgent de tirer les leçons des échecs des mouvement sociaux contre les réformes du mandat 2017-2022 de Macron pour décider comment permettre aux luttes de dépasser leurs limites, dans chaque entreprise ou lieu, mais aussi dans la convergence entre tous.
C’est sur cette question que les forces de gauche, malgré leurs intérêts parfois divergents, peuvent se retrouver et c’est la question que les communistes devraient poser dans les discussions sur les législatives. Comment construire un mouvement social plus fort que la médiatisation présidentielle ? plus solide et uni que le cycle de violences et répressions que nous connaissons trop bien ? plus dynamique que les enthousiasmes sportifs ? Comment sortir des tensions idéologiques entre couches moyennes urbaines éduquées et milieux populaires pour permettre l’unité la plus large autour d’un projet de transformation sociale ?
Oui, la force passée du mouvement populaire s’est délitée depuis des décennies. Mais sa faiblesse actuelle n’est qu’un temps, difficile, mais qui peut conduire à des réactions, des retours au réel, aux liens de proximité sociale et politique.
Je suis sûr que les communistes seront parmi les acteurs de cette reconstruction, et que Fabien Roussel sera une personnalité marquante des années à venir.
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